Last Updated on juillet 22, 2025 by LARA CLARC
Bella, Golden Retriever de 4 ans, a toujours été un mystère pour sa maîtresse Sarah. Tous les trois mois, religieusement, elle donne le même vermifuge à Bella et à son frère Max. Même âge, même alimentation, même mode de vie. Pourtant, Bella se retrouve systématiquement avec des vers intestinaux deux mois après le traitement, alors que Max reste « propre » pendant six mois entiers.
« Au début, je pensais que Bella était plus gourmande, qu’elle mangeait n’importe quoi en promenade », raconte Sarah. « Mon vétérinaire aussi était perplexe. On a changé de marque, on a testé différentes molécules… Rien n’y faisait. »
La réponse à cette énigme ne se trouvait ni dans l’environnement, ni dans le comportement, mais bien plus profondément : dans l’ADN des deux chiens. Une découverte qui bouleverse actuellement notre approche de la vermifugation canine.
Quand la génétique rencontre la pharmacie
Il y a encore deux ans, cette histoire aurait relevé du mystère vétérinaire insoluble. Aujourd’hui, elle s’explique parfaitement grâce aux avancées de la pharmacogénomique canine – un nom barbare pour une révolution en cours.
En novembre dernier, l’équipe du Dr Jennifer Granick à l’université Cornell a publié des résultats qui font sensation dans le milieu vétérinaire. Leur étude portant sur 847 chiens de 23 races différentes révèle que l’efficacité des vermifuges varie du simple au triple selon le profil génétique de l’animal.
« C’est exactement ce qu’on observe en médecine humaine depuis quinze ans », explique le Dr Marine Leclerc, généticienne vétérinaire à l’ile de la reunion que j’ai interrogée. « Un médicament qui marche parfaitement chez un patient peut être totalement inefficace chez son voisin, même s’ils ont le même diagnostic. Chez le chien, c’est pareil. »
Le principe est finalement assez simple à comprendre. Imaginez que votre organisme soit une usine de transformation. Quand un vermifuge arrive dans le corps de votre chien, différentes « machines » génétiques vont le prendre en charge : certaines vont l’absorber dans l’intestin, d’autres vont le métaboliser dans le foie, d’autres encore vont l’évacuer vers l’extérieur.
Si une de ces « machines » tourne au ralenti à cause d’une variation génétique, tout le processus est perturbé. Résultat : le vermifuge reste actif trop longtemps (risque de toxicité) ou pas assez longtemps (inefficacité). Dans le cas de Bella, ses gènes la transforment en « métaboliseur rapide » : elle élimine le vermifuge deux fois plus vite que Max.
Les trois gènes qui changent tout
Les chercheurs ont identifié trois familles de gènes particulièrement importantes pour la vermifugation. Et contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas forcément les plus petits chiens ou les plus fragiles qui sont concernés.
Le gène MDR1, le plus connu mais pas le seul
Si vous avez un Border Collie, un Berger Australien ou un Colley, vous en avez peut-être déjà entendu parler. Le gène MDR1 (Multi-Drug Resistance 1) code pour une protéine qui fait office de « videur » dans l’organisme : elle repousse les substances potentiellement toxiques pour les empêcher d’entrer dans le cerveau.
Problème : chez environ 15% des chiens de ces races, ce gène présente une mutation. Le « videur » ne fait plus son travail, et certains vermifuges deviennent dangereusement toxiques. « J’ai vu des Border Collies tomber dans le coma après une dose normale d’ivermectine », témoigne le Dr Leclerc. « Maintenant, je teste systématiquement avant de prescrire. »
Mais attention aux raccourcis : cette mutation touche aussi des Bergers Blancs Suisses, des Bergers Allemands, et même quelques Golden Retrievers. Et surtout, elle ne concerne pas tous les vermifuges de la même manière.
Les gènes CYP450, les oubliés de la métabolisation
Moins médiatisés mais tout aussi importants, les gènes de la famille CYP450 gouvernent le métabolisme des médicaments dans le foie. C’est exactement le problème de Bella : ses variants génétiques font qu’elle dégrade le fenbendazole (principe actif de son vermifuge) en deux heures au lieu de six.
L’étude Cornell montre que ces variations touchent pratiquement toutes les races, mais avec des fréquences très différentes. Les Lévriers semblent particulièrement concernés – une découverte qui explique enfin pourquoi ces chiens nécessitent souvent des protocoles de vermifugation spécifiques.
Les transporteurs ABC, les nouveaux venus
Troisième famille de gènes récemment mise sur le devant de la scène : les transporteurs ABC. Leur rôle ? Faire passer les molécules de vermifuge de l’intestin vers le sang. Des variants de ces gènes peuvent considérablement réduire l’absorption du traitement.
« C’est particulièrement problématique avec les vermifuges en comprimé », note le Dr Leclerc. « Le chien avale sa dose, mais seule une fraction infime passe réellement dans son organisme. On croit qu’il est vermifugé, mais en réalité, il ne l’est pas. »
Tests génétiques : où en est-on vraiment ?
Face à ces découvertes, plusieurs laboratoires ont développé des tests génétiques spécifiquement dédiés à la réponse aux médicaments chez le chien. Mais attention : nous sommes encore au début de cette révolution.
Ce qui existe aujourd’hui
Aux États-Unis, Embark Veterinary propose depuis six mois un panel « Medication Response » qui teste les principales variations génétiques liées au métabolisme des vermifuges. Coût : 179 dollars, résultats en trois semaines. Wisdom Panel, concurrent direct, développe actuellement une offre similaire.
En Europe, c’est plus compliqué. Quelques laboratoires vétérinaires spécialisés commencent à proposer des tests MDR1, mais l’offre reste très limitée. « En France, on en est encore aux balbutiements », reconnaît le Dr Leclerc. « Mais ça va très vite maintenant. D’ici fin 2025, ces tests devraient être couramment disponibles. »
Le processus lui-même est simple : un prélèvement de salive ou une prise de sang, envoi au laboratoire, résultats par mail sous forme de rapport détaillé. Le plus dur, c’est l’interprétation.
Un exemple concret de rapport
Le mois dernier, j’ai pu consulter le rapport génétique de Bella (avec l’accord de sa propriétaire, bien sûr). Verdict : « Métaboliseur rapide CYP2B11 – Réduction recommandée des intervalles entre vermifugations de 30 à 40% ». En français : au lieu de vermifuger tous les trois mois, il faut passer à tous les deux mois.
Sarah a suivi la recommandation. « Ça fait maintenant quatre mois que Bella n’a plus de vers », se réjouit-elle. « Enfin une explication logique à ce qui nous semblait inexplicable ! »
Les limites à connaître
Soyons honnêtes : ces tests ne sont pas encore parfaits. Ils couvrent les principales molécules vermifuges (fenbendazole, pyrantel, praziquantel), mais pas encore toutes. Les nouveaux antiparasitaires comme le lotilaner ou le sarolaner ne sont que partiellement documentés génétiquement.
De plus, ces tests analysent les variants génétiques les plus fréquents, mais il en existe probablement d’autres, plus rares, encore non identifiés. « C’est comme une carte routière qui s’enrichit progressivement », image le Dr Leclerc. « On connaît les autoroutes et les nationales, mais il reste des petites routes à découvrir. »
Quand faut-il y penser ?
Tous les chiens ne nécessitent pas forcément un test génétique pour leur vermifugation. Mais certains signaux d’alerte doivent vous mettre la puce à l’oreille.
Les cas prioritaires
Premier cas de figure : votre chien appartient à une race « à risque ». Border Collie, Berger Australien, Colley et apparentés pour le gène MDR1. Lévriers pour les gènes CYP450. Mais aussi, plus surprenant, certains Retrievers et Spaniels qui présentent parfois des variants particuliers.
Deuxième cas : vous observez des échecs répétés de vermifugation malgré un respect strict du protocole. « Si votre chien attrape des vers tous les deux mois malgré un traitement régulier, c’est suspect », note le Dr Leclerc.
Troisième cas : votre chien a déjà présenté des effets secondaires inhabituels lors d’une vermifugation. Vomissements persistants, abattement marqué, troubles neurologiques… Ces signes peuvent révéler un métabolisme atypique.
Comment aborder le sujet avec votre vétérinaire
Tous les vétérinaires ne sont pas encore familiarisés avec ces avancées. C’est normal : la pharmacogénomique vétérinaire n’existe que depuis quelques années. Voici comment orienter la conversation :
« Docteur, j’ai lu que l’efficacité des vermifuges pouvait varier selon la génétique du chien. Mon [race] présente des [symptômes observés]. Pensez-vous qu’un test génétique pourrait nous aider ? »
La plupart des praticiens sont curieux de ces nouvelles approches, même s’ils ne les maîtrisent pas encore complètement. « N’hésitez pas à apporter des articles ou des références », conseille le Dr Leclerc. « Nous aussi, nous apprenons. »
L’avenir de la vermifugation personnalisée
Cette révolution génétique ne fait que commencer. D’ici trois ans, plusieurs évolutions majeures sont attendues.
Des coûts en chute libre
Comme pour tous les tests génétiques, les prix baissent rapidement. Les 300 euros actuels devraient tomber à 50-80 euros d’ici 2027. « À ce prix-là, ce sera probablement inclus dans le bilan de santé standard du chiot », prédit le Dr Leclerc.
De nouveaux acteurs
Plusieurs start-ups françaises développent actuellement des plateformes de génétique vétérinaire. L’une d’elles, basée à Lyon, annonce des tests « vermifugation personnalisée » pour le premier trimestre 2025.
Une médecine vétérinaire sur mesure
Au-delà des vermifuges, c’est toute la médecine vétérinaire qui évolue vers la personnalisation. Anesthésiques, anti-inflammatoires, antibiotiques… « Dans dix ans, prescrire sans connaître le profil génétique du patient paraîtra aussi archaïque que de faire de la chirurgie sans antibiotiques », prédit la généticienne.
Le début d’une révolution
L’histoire de Bella n’est finalement que le début d’une révolution silencieuse. Après des décennies de vermifugation « à l’aveugle », nous entrons dans l’ère de la précision génétique.
Cela ne signifie pas que tous les chiens auront besoin de ces tests, ni que les protocoles classiques vont disparaître du jour au lendemain. Mais pour les cas complexes, les races sensibles ou les échecs thérapeutiques, cette approche ouvre des perspectives inédites.
Sarah, elle, ne regrette pas son investissement. « Ça m’a coûté 200 euros, mais je ne peux plus compter les économies en vermifuges inefficaces et en consultations répétées. Et surtout, Bella va mieux. »
La génétique ne remplacera jamais l’œil expert du vétérinaire ni les bonnes pratiques d’hygiène. Mais elle nous donne enfin les clés pour comprendre pourquoi deux chiens apparemment identiques peuvent réagir si différemment au même traitement.
Une révolution discrète, mais qui pourrait bien transformer la façon dont nous prenons soin de nos compagnons à quatre pattes.
Dans notre prochain article, nous découvrirons comment les vétérinaires pionniers adaptent concrètement leurs prescriptions grâce à ces nouvelles données génétiques. Témoignages et protocoles à l’appui.Réessayer